La créséide, monnaie d'or frappée en Lydie
Cet article est consacré à la créséide, une des plus anciennes monnaies d'or pur frappées et connues à ce jour. Elle serait apparue au 6ème siècle avant notre ère, dans le royaume de Lydie, et aurait été frappée à l'initiative du roi Crésus, qui régna sur cette région de 561 à 546 av. J.-C.
Celui-ci a en effet mis au point un véritable système monétaire bimétallique, selon lequel des monnaies d'or cohabitent avec des monnaies d'argent, les unes pouvant s'échanger contre les autres selon un rapport de valeur bien défini.
Les échanges se rapprochant du modèle monétaire moderne remontent cependant à des époques bien plus reculées et ne sont pas de l'invention de Crésus. Selon les principaux théoriciens, on ne peut parler de monnaie au sens strict que lorsqu'un matériau ou un objet façonné fait office d'étalon accepté par une communauté qui lui reconnaît une valeur bien définie et l'utilise pour acquitter une forme de paiement (contre une marchandise), de rétribution contre une activité, pour constituer une épargne, ou pour payer une dette (valeur libératoire). Avant cela, de nombreuses matières premières ou d'objets façonnés étaient échangés par la plupart des civilisations et remplissaient l'une de ces fonctions, mais jamais toutes à la fois.
Il faut attendre le 7ème siècle avant notre ère, en 687 av. J.-C. très exactement, pour que le roi de Lydie, Gygès, fasse frapper celles qui sont aujourd'hui considérées comme les premières véritables monnaies métalliques. Cependant, à la même période, ou à une époque légèrement antérieure, on trouve des monnaies d'électrum dans les cités grecques ioniennes voisines de Phocée, de Milet et d'Éphèse (toutes trois situées sur le territoire de l'actuelle Turquie), et les archéologues ne s'accordent toujours pas sur l'antériorité de ces cités sur Sardes (capitale de la Lydie) pour ce qui est de la création des pièces.
À quoi ressemble une créséide ?
Cette pièce comporte un avers et un revers. Sur l'avers, ce sont les avant-corps d'un lion (à gauche) et d'un taureau (à droite) se faisant face qui sont représentés. En numismatique, on dit que sur l'avers sont représentés les protomés affrontés d'un lion et d'un taureau.

Sur le revers de la pièce, on trouve deux petits carrés, ici celui de gauche (correspondant au taureau) plus petit que celui de droite (qui correspond au lion). Aucune inscription (ni nom ni date) n'a été inscrite sur les monnaies que vous voyez ici. Ces petits carrés correspondent aux marques des poinçons laissées sur la pièce au moment de la frappe.

Des pièces de différents poids
Plusieurs formats de pièces étaient alors frappés, afin d'affiner les possibilités de paiements. Chaque format renvoie à un poids d'or précis, et permet de reconnaître le poids en question (donc la valeur) sans peser celle-ci. Pour la première fois, le système d'échange va reposer sur des pièces de monnaies comptées et non pesées (comme c'était le cas auparavant). Et cela fait toute la différence : on n'échange plus des marchandises contre une masse de matière précieuse, mais contre une quantité chiffrée.
Les 5 types de pièces d'or pur en vigueur en Lydie sous Crésus
On trouve donc, dans le système mis en place par Crésus, par ordre de valeur décroissante, d'abord le statère (qui fait office d'étalon), la trité, l'hecté et enfin le demi-hecté.
Nom des différentes pièces | Poids | Métal | Valeur |
---|---|---|---|
statère | 8,17 grammes | Or pur | Unité de base |
hémi-statère | 4,08 grammes | 1/2 statère | |
trité | 2,72 grammes | 1/3 de statère | |
hecté | 1,36 grammes | 1/6 de statère | |
demi-hecté | 0,68 grammes | 1/12 de statère |
Second système monétaire valables pour les pièces d'argent pur et d'or pur
Comme ce système était fondé sur le bimétallisme, on trouve également des monnaies d'argent, qui font office de monnaie d'appoint et ont une valeur établie par rapport à l'or. En l'occurence, un statère d'argent valait, selon le système d'équivalence alors en vigueur, très exactement 13,33 fois moins qu'un statère d'or. Il fallait donc 108,9 grammes d'argent par statère d'or (soit 8,17 grammes multipliés par 13,33). Afin de restituer cela dans un système fondé sur des pièces, on a introduit le statère d'argent, d'un poids de 10,89 grammes (plutôt que de payer un statère d'or avec un lingot de 108,9 grammes). Grâce à cette équivalence, il fallait 10 statères d'argent pour obtenir la valeur d'un statère d'or, 20 hémi-statères, 30 trités, 60 hectés, 120 demi-hectés. D'où le tableau ci-dessous.
Mais ce n'est pas tout ! La situation se complexifie, parce qu'en plus du système permettant au statère d'or de cohabiter avec le statère d'argent (et d'être échangé contre celui-ci), il fallait pouvoir échanger ses pièces avec des systèmes monétaires utilisés par des cités voisines (et c'est pour cette raison que dans la colonne "Métal", vous trouvez l'information "or ou argent").
En effet, comme les cités ioniennes (notamment Milet) avec lesquelles commerçaient la Lydie utilisaient un autre système, il a fallu, alors qu'en Lydie avait cours le statère d'or d'un poids de 8,17 grammes, émettre un nouveau statère d'or, cette fois de 10,89 grammes, permettant la conversion avec les cités voisines qui utilisaient des monnaies d'électrum, d'une autre valeur.
Nom des différentes pièces | Poids | Métal | Valeur |
---|---|---|---|
statère | 10,89 grammes | Or ou Argent | Unité de base |
hémi-statère | 5,44 grammes | 1/2 statère | |
trité | 3,63 grammes | 1/3 de statère | |
hecté | 1,81 grammes | 1/6 de statère | |
demi-hecté | 0,90 grammes | 1/12 de statère |
Valeur de la créséide
Si on ne l'estimait que par rapport à sa masse d'or pur, une créséide d'un statère (8,17 grammes) pourrait être rachetée au cours actuel (octobre 2015) environ 270€. Même au plus fort du cours de l'or (le 18 août 2012), qui a atteint 43,51€ le gramme, elle n'aurait pas dépassée les 355,47€. Cependant, comme il s'agit d'une monnaie aussi ancienne (environ 2700 ans) que rare, elle peut se négocier jusqu'à 7000€ (plus de vingt fois la valeur du métal précieux qu'elle contient). Si vous détenez une telle pièce, la vendre pour sa masse est donc une très mauvaise idée !
Preuves et sources historiques
Plusieurs historiens de l'Antiquité évoquent l'existence des créséides. Il s'agit notamment d'Hérodote d'Halicarnasse, de Plutarque (Œuvres morales, 823a), et de Jullius Pollux, dans son Onomasticon.
On trouve ainsi dans l'Histoire (Livre I, XCIV) d'Hérodote, à propos des Lydiens :
« De tous les peuples que nous connaissions, ce sont les premiers qui aient frappé, pour leur usage, des monnaies d'or et d'argent, et les premiers aussi qui aient fait le métier de revendeurs. »