L'or et la monnaie
La monnaie n'a pas toujours été en usage. Pour exister, elle suppose bien évidemment une compétence technique, celle qui consiste à lui donner forme, à la frapper, et une organisation sociale minimale, nécessaire pour que l'attribution d'une valeur définie à un morceau de métal soit ensuite reconnue par un groupe, un État, voire un groupement de pays et qu'elle fasse office de cours légal.
La compétence technique doit être suffisamment évoluée pour que chaque pièce produite soit identique en valeur à n'importe quelle autre. Ceci revêtait une importance toute particulière lorsqu'un métal noble était utilisé, comme l'or ou l'argent, et qu'un poids devait être respecté, c'est-à-dire lorsqu'une quantité précise de minerai devait être utilisée dans sa composition.
Des échanges commerciaux avaient évidemment lieu bien avant l'apparition de la monnaie, et le troc pouvait alors servir à ce commerce des biens.
Les fonctions de la monnaie
Si la monnaie a supplanté les autres modes d'échange, c'est parce qu'elle présente plusieurs avantages que le troc n'offre pas. Ces avantages sont liés aux trois fonctions principales de la monnaie. Cette tripartition des fonctions a initialement été théorisée par Aristote, dans son Éthique à Nicomaque.
Un étalon des valeurs
Ce principe veut qu'un bien matériel (objet, bétail, terres) ou immatériel (service, temps de travail) puisse s'échanger contre une quantité donnée de pièces de monnaie, selon un consensus partagé par toutes les parties qui ont recours à la monnaie. Celle-ci fait alors office d'unité de compte, et représente une valeur.
Le montant nécessaire à l'échange, qui a été établi de manière arbitraire, est soumis à des variations plus ou moins importantes. Car la monnaie, à la différence des unités de valeur servant à mesurer la distance, la température, ou le temps, comme le mètre, le degré Celsius ou la seconde, qui sont invariables, n'est pas un étalon fixe.
La monnaie est un donc un étalon des valeurs arbitraire et variable. Un prix fixé à un instant donné variera de telle sorte qu'il faudra, à plus ou moins long terme, une plus ou moins grande quantité de pièces pour procéder à l'échange, et ceci, en fonction de paramètres innombrables.
Cette fonction d'instrument de compte est particulièrement bien résumée par la formule de Jules Lepidi, selon qui :
La valeur des marchandises sera mesurée en la rapportant à celle de la monnaie au moyen du prix qui n'est rien d'autre que l'expression monétaire de la valeur, c'est-à-dire de la quantité de monnaie à échanger contre l'objet à considérer 1.
Un intermédiaire dans les échanges
Les transactions commerciales ont grandement été facilitées par la monnaie. Le troc nécessitait en effet une évaluation laborieuse de la valeur respective des marchandises devant faire l'objet d'un échange, et ce, jusqu'à ce que les deux parties prêtent à chacun des biens échangés une valeur supérieure à celui dont ils acceptent de se séparer.
Avec la monnaie, nul besoin de recourir à ces longues tergiversations, bien au contraire. Comme les pièces n'ont d'autre fonction que de servir à cet échange, on peut accepter ou refuser la transaction en évaluant uniquement la valeur économique : le prix. Et puisque tous les membres du groupe ont reconnu le système, il s'agit bien d'un intermédiaire facilitant les échanges. Ceci est d'autant plus vrai que l'or et l'argent n'entrant plus dans la composition de la monnaie, les pièces ont été dépouillées de la valeur prêtée au métal précieux la constituant, pour être remplacées par des alliages sans véritable valeur marchande.
Certes, on pourrait aisément objecter que procéder à l'acquisition d'un objet ou au paiement d'un service avec de la monnaie, c'est troquer cet objet contre le temps nécessaire à son acquisition. Il n'empêche que l'évaluation de la valeur a été réduite à un seul examen (ceci vaut-il ou ne vaut-il pas le prix que l'on en demande) contre un examen plus long et plus laborieux du fait du caractère hétéroclite des objets jusque-là soumis à l'évaluation du troc.
Une réserve des valeurs
La monnaie peut qui plus est être, facilement stockée et accumulée de façon à constituer une épargne, pour une utilisation planifiée à court, moyen ou long terme, ce qui n'était pas possible avec le troc.
La thésaurisation permet donc l'accumulation progressive d'une somme destinée à servir de réserve, ou à la création d'un pouvoir d'achat futur. Il s'agit tout simplement de renoncer à un pouvoir d'achat immédiat et à le différer de façon à permettre une consommation future, ceci en prévision d'événements futurs, ou pour le financement d'un projet nécessitant des ressources économiques de grande ampleur.
L'or comme monnaie
Les premières monnaies frappées dans l'Histoire de l'humanité l'ont été dans un métal précieux : l'or. À ce jour, l'une des plus vieilles pièces de monnaie (au sens strict) trouvées a été fabriquée environ six siècles avant notre ère, entre 561 et 546 av. J.-C., qui sont les dates de début et de fin de règle du roi Crésus, auquel on doit la créséide.
L'utilisation des métaux nobles s'explique par leurs qualités intrinsèques. Outre le prestige, l'éclat et la rareté, il fallait que cette matière possède des propriétés spécifiques :
- Il s'agissait notamment de produire une pièce inaltérable, c'est-à-dire qui ne subisse pas l'action du temps et puisse remplir sa fonction durant une période indéfinie (pour ne pas dire infinie), et donc être thésaurisée.
- Il fallait également que ce matériau puisse être divisé en unités plus petites ou réassemblées en unités plus grosses : c'est bien sûr le cas de l'or, qui peut être refondu et frappé à nouveau.
- Enfin, il fallait que chaque pièce soit conçue dans un matériau suffisamment rare pour qu'elle ne se trouve pas aisément à l'état naturel et rende de fait la contrefaçon difficile.
Deux systèmes monétaires utilisant les métaux précieux ont alors prévalu : le monométallisme et le bimétallisme.
Le monométallisme
Le monométallisme désigne un système monétaire selon lequel un seul métal sert d'étalon (généralement l'or ou l'argent), lequel possède un pouvoir libératoire (c'est-à-dire qu'il permet le remboursement d'une dette) illimité et peut être frappé librement.
Ce système a été utilisé par de très nombreuses cultures, depuis l'antiquité jusqu'au 20ème siècle et la disparition de l'étalon-or. Il très souvent été préféré au bimétallisme car il ne présentait pas les inconvénients de ce dernier.
Le bimétallisme
Le bimétallisme est la coexistence de deux métaux précieux (généralement l'or et l'argent), chacun pouvant servir de valeur de référence et être utilisés dans les échanges commerciaux nationaux ou internationaux. Avec le bimétallisme, les deux métaux ont un pouvoir libératoire illimité et peuvent être frappés librement.
Qui plus est, il y a un rapport légal entre la monnaie d'or et celle d'argent : l'une peut être échangée contre l'autre suivant un cours légal précis.
Les principaux fait monétaires survenus en France
À l'apogée de la civilisation romaine, de nombreuses monnaies d'or ont circulé sur tout le territoire de l'empire romain, et notamment en Gaule. Un atelier monétaire a même été créé à Lyon en 43 avant J.-C. afin notamment de faire frapper les pièces destinées à payer la solde des légionnaires.
- De 150 avant J.-C. au 5ème siècle après. J.-C, des pièces d'or circulent en Gaule et jusqu'en Angleterre. Ces monnaies étaient imitées de monnaies plus anciennes, appelées « Philippes ». C'est durant cette période que le système monétaire comprenant l'Aureus, le Denier et l'As est introduit en Gaule.
- 312 : création du « Solidus aureus » par l'empereur Constantin. Cette monnaie d'or pur pèse 4,55 grammes, et représente 1/72ème de la livre romaine. Il est l'ancêtre du sou d'or.
- 15 août 1266 : Saint Louis fait frapper un denier appelé « Écu d'or », pesant 4,13 grammes. L'Écu d'or est émis au cours d'une demi-livre tournois. La livre tournois s'établir virtuellement à 8,271 grammes d'or fin, mais n'est pas matérialisée.
- 1311 : apparition d'un « Agnel d'or fin sous le règne de Philippe IV. Il pèse 4,20 grammes et vaut 20 sous. La livre tournois est matérialisée pour la première fois.
- 5 décembre 1360 : le « Franc à cheval » apparaît sous le règne de Jean Lebon. Il équivaut à 20 sous, et pèse 3,88 grammes d'or pur.
- 22 avril 1365 : le « Franc à pied », qui pèse 3,92 grammes d'or pur, est frappé par Charles V.
- 1422 : au début du règne de Charles VII, la livre équivaut désormais à 3,07 grammes d'or.
- 1461 à 1483 : la livre vaut entre 2,24 et 2,04 grammes d'or fin sous Louis XI.
- 1483 : de Charles VIII à Henri III, la livre finit par ne plus valoir que 1,08 grammes d'or pur.
- 1640 : Louis XIII fait frapper le Louis d'or, qui vaut 10 livres et pèse 6,21 grammes d'or pur. La livre équivaut donc à 0,621 gramme d'or.
- 1785 : Louis XVI crée un Louis de 7,04 grammes d'or à 22 carats mais valant 24 livres. 1 livre équivaut désormais à 0,29 grammes d'or pur.
- Mars 1803 : Le 7 Germinal An XI (selon le calendrier révolutionnaire), le bimétallisme est institué en France. Une pièce d'argent titrant 900 millièmes, le « Franc », est frappée. Elle équivaut à 290,3225 d'or fin.
- 23 décembre 1865 : signature de la convention monétaire de l'Union latine, selon laquelle le rôle de l'argent dans le bimétallisme des pays membres (la France, l'Italie, la Suisse, la Belgique puis la Grèce) est réduit.
- 1878 : la liberté de frappe de l'argent est suspendue. Le pouvoir libératoire est désormais réservé à la pièce en argent de 5 francs et aux pièces d'or. C'est le bimétallisme boiteux.
- 1914 : l'étalon-or est abandonné à la veille de la Première Guerre Mondiale, dont la France.
- 25 juin 1928 : l'étalon-or est instauré selon l'équivalence suivante : 1 franc équivaut à 65,5 milligrammes d'or titrant 900 ‰ (millièmes), soit 58,9 milligrammes d'or pur.
- 1er octobre 1936 : loi monétaire suspendant la convertibilité des billets. Le franc vaut entre 43 et 49 mg d'or à 900 ‰. On parle de « franc élastique ».
- 30 juin 1937 : loi-décret créant le « Franc flottant ». Disparition de toute parité fixe entre le franc et l'or.
- 12 novembre 1938 : le franc équivaut à 24,75 mg d'or pur ou 27,50 mg d'or titrant 900 ‰.
- 1er mars 1940 : le franc ne vaut plus que 23,33 mg d'or titrant 900 ‰.
- 26 décembre 1945 : le franc ne vaut plus que 8,29 mg d'or titrant 900 ‰.
- 26 janvier 1948 : le franc équivaut désormais à 4,51 mg d'or titrant 900 ‰.
- 2 février 1948 : institution du marché libre de l'or.
- 20 septembre 1949 : La parité des devises connaît une majoration : 1 dollar vaut 350 francs, et 1 livre vaut 980 francs. Le franc équivaut désormais à 2,87 mg d'or 900 ‰.
- 1er janvier 1960 : création du « nouveau franc » égal à 100 anciens francs.
- 1er janvier 1963 : le « nouveau franc » devient simplement « le franc ».
- 8 août 1969 : dévaluation du franc, 1 dollar équivaut désormais à environ 5,55 francs. Le franc ne vaut désormais plus que 1,77 mg d'or 900 ‰.
Sources
Jules Lepidi, L'or, Coll. "Que sais-je ?", 4ème éd., PUF, Paris, 1979, p. 79.