Dans une ville où les gratte-ciel côtoient les ambitions, la véritable distinction ne s’affiche pas dans le rugissement d’un moteur de luxe. Elle se niche dans un privilège si fondamental qu’il en devient exceptionnel. À Singapour, le simple fait de posséder un véhicule, quel qu’il soit, représente un accomplissement social et financier bien plus significatif que la marque sur la calandre.
Singapour et le COE un système qui fait du droit de rouler un luxe
Depuis 1990, Singapour régule son parc automobile via les Certificats d’Entitlement (COE), confie jeuxvideo.com. Ces titres, indispensables pour immatriculer une voiture, sont valides dix ans seulement. Leur principe ? Limiter les embouteillages et la pollution en contrôlant l’offre. Chaque mois, des enchères déterminent leur prix, souvent supérieur à 70 000 euros. Ainsi, acquérir une citadine modeste revient à dépenser plus de 100 000 euros, COE inclus.
Concrètement, le marché fonctionne comme une course aux offres. Face à une demande croissante, seuls les plus aisés peuvent participer. En 2023, le prix moyen a même flirté avec les 80 000 euros, rendant le rêve automobile inaccessible à 80 % de la population. Sans ce mécanisme, l’île, plus petite que New York, subirait un chaos routier insoutenable.
Prenons l’exemple d’Andre Lee, agent d’assurances. En 2020, il paie 20 600 € pour une Kia Forte de 2010, soit cinq fois son prix aux États-Unis. « C’est comme porter une montre Rolex », confie-t-il. Trois ans plus tard, il revend sa voiture, épuisé par les frais annexes. Son histoire illustre parfaitement comment Singapour a élevé la possession d’un véhicule au rang de privilège.
Singapour montre que les transports en commun sont une alternative viable
Face à cette raréfaction automobile, Singapour a investi massivement dans les transports publics. Aujourd’hui, 80 % des foyers vivent à moins de dix minutes d’une station de métro. Un réseau ferroviaire moderne, des bus électriques et des applications comme Grab facilitent les déplacements. Résultat : un trajet en métro coûte moins de 1,60 €, même pour les longues distances.
Depuis dix ans, la cité-État a injecté des milliards dans ses infrastructures : nouvelles lignes de métro, 1 000 bus neufs, 200 rames supplémentaires. Ces efforts répondent à un objectif clair : rendre la voiture superflue. Les données parlent d’elles-mêmes. Alors que l’UE compte 56 voitures pour 100 habitants, Singapour enregistre seulement 11 véhicules par tranche de 100 personnes.
Cette politique séduit même les cadres. Su-Sanne Ching, cheffe d’entreprise, admet avoir dépensé 129 000 € pour une Mercedes, dont 60 000 € pour le COE. « Je paie pour la commodité », justifie-t-elle. Pourtant, face aux coûts récurrents, beaucoup optent pour le métro. Ici, renoncer à la voiture n’est plus un sacrifice, mais un choix logique.
Un modèle urbain inspirant mais difficile à reproduire ailleurs
D’autres métropoles tentent d’imiter Singapour, mais sans succès. Mexico limite la circulation selon les plaques, Londres et Stockholm appliquent des péages urbains, New York réfléchit à un système similaire. Pourtant, aucune ne va aussi loin. Pourquoi ? Les coûts d’investissement dans les transports en commun freinent les politiques ambitieuses.
De plus, les cultures automobiles varient. Aux États-Unis, où plus de 80 voitures circulent pour 100 habitants, l’idée de payer pour rouler choquerait. En Europe, les résistances politiques et sociales bloquent souvent les réformes radicales. Singapour bénéficie d’un avantage clé : une gouvernance centralisée et une île compacte, facilitant l’application de mesures strictes.
Enfin, la question éthique se pose. Faut-il réserver la voiture aux riches ? À Singapour, cela fonctionne grâce à des transports publics irréprochables. Ailleurs, sans alternative crédible, une telle politique creuserait les inégalités. Le défi est donc double : investir massivement tout en convaincant les citoyens.
L’avenir des villes repose-t-il sur une gestion stricte de la mobilité individuelle ?
Singapour incarne une leçon forte : limiter les voitures n’est possible qu’avec un réseau de transports publics performant. Son succès réside dans l’équilibre entre contrainte et alternative attractive. D’autres villes pourraient s’en inspirer, à condition d’adapter le modèle à leur contexte. Car si le luxe à Singapour est d’avoir une voiture, ailleurs, il deviendra peut-être de circuler librement… sans en posséder une.